Analyse
91. Village des bains au Mont d'or

Fréquentées depuis l’époque médiévale par les populations locales, les eaux du Mont-Dore - la bourgade s’appelait Bains avant de prendre le nom de « Mont d’Or » au XIXe siècle - continuent d’être utilisées à l’époque moderne, d’après le docteur Chabory-Bertrand. Ce dernier cite Jean Banc qui affirmait avoir envoyé plusieurs patients aux bains du Mont-Dore avec succès (1605), mais aussi Chomel (Histoire de l’Académie royale des sciences, 1707, p. 44) qui considérait ces eaux comme les plus réputées de toute l’Auvergne, ou encore Le Monnier (Mémoire de l’Académie royale des sciences, 1744) qui vantait leurs vertus contre l’asthme et « pour fortifier les poitrines délicates ».[1]

Au XVIIIe siècle ces eaux sont exploitées par un particulier qui les loue à des locaux. Plusieurs projets d’installations thermales sont alors envisagés puis abandonnés. En 1785, M. Sganzin, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, propose un projet d’établissement thermal à la demande de l’intendant, M. de Chazerat. Les travaux seront interrompus par la Révolution française. A l’extrême fin du siècle, le village ne connaît toujours pas de véritable développement thermal (témoignage de Legrand d’Aussy). Il faut noter cependant la construction d’une nouvelle route visant à rendre le village plus accessible, sous l’intendance de M. de Chazerat. S’il n’y a donc pas d’établissement thermal à cette époque, les eaux des Bains sont toutefois réputées pour leurs vertus thérapeutiques comme en atteste Legrand d’Aussy : « elles guérissent ; et, malgré le désagrément qui les environne, on y accourt ».[2]

Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, les eaux des Bains vont jouir d’une certaine notoriété : selon les années, entre 700 et 1600 malades viennent s’y soigner. L’afflux de curistes dépasse d’ailleurs les capacités d’accueil du lieu, dépourvu de véritables locaux, ce qui conduit à baigner les malades y compris pendant la nuit. Hommes comme femmes se baignent dans l’unique cuve du Bain de César[3]. Henry Doniol souligne que « Les bains du Mont-Dore recevaient un grand nombre d’étrangers, qui s’y faisaient porter en litière, bien avant qu’un établissement complet et une route commode leur permissent d’y venir aussi agréablement qu’aujourd’hui. »[4].

En 1811, l’architecte Louis-Charles-François Ledru propose le premier vrai projet d’urbanisme du Mont-Dore, qui vise à remodeler l’environnement du futur établissement thermal, à la construction duquel il participe aussi. C'est à ce chantier qu'assiste Etienne-Jean Delécluze qui note dans son carnet : « C’est au milieu du village que se construit l’Etablissement des Bains »

Il semble que le succès ait été au rendez-vous puisque, en 1828, l’installation thermale accueille plus de 1000 curistes. L’augmentation de la fréquentation est telle qu’il faut accroître la capacité d’hébergement du village.

Olivier Faure souligne cependant le caractère encore très local et la modestie sociale des clients des bains du Mont-Dore au moment du séjour d'Etienne-Jean Delécluze : les ruraux peu aisés représentent les deux tiers de la fréquentation d’après une enquête de 1820 et encore la moitié en 1846. Les indigents munis de secours de route et parfois de subsides départementaux sont également présents au Mont-Dore, hébergés à l’hospice qui date de 1822, et constituent entre le 10e et le 5e de la clientèle totale pendant toute la première moitié du XIXe siècle.[5]. Il faut attendre 1850 pour que la tendance s’inverse : les catégories sociales modestes ne représentent alors plus que le quart des curistes, même s'il faut tenir compte de la présence de petits propriétaires, d’ouvriers paysans, qui viennent prendre les eaux sans consulter préalablement un médecin.

L’établissement thermal a favorisé toutefois l'augmentation de la fréquentation de la clientèle aisée, bourgeoise et noble. Citons la duchesse d’Angoulême en 1826, la baronne Aurore Dudevant (autrement dit George Sand) et son mari en 1827, Honoré de Balzac en 1830. Ces baigneurs prestigieux bénéficient de bains particuliers. L'afflux de curistes rend nécessaire un nouvel agrandissement, proposé par Ledru lui-même dès 1840[6].

En 1863, Louis Piesse recommande aux curistes d’aller prendre les eaux au Mont-Dore et souligne le développement des activités thermales qu’a connu ce village : « Les malades et les touristes trouveront au Mont-Dore des hôtels vastes, bien tenus, et des maisons particulières. » ; Mont-Dore-les-Bains n’est plus, grâce à ses eaux merveilleuses, grâce à l’importance qu’il a conquise, ce village sale et boueux, formé d’une soixantaine de maisons sans écuries ni remises, où la nourriture donnée aux buveurs était chère et mauvaise, ainsi que nous l’apprend Legrand d’Aussy. »[7]. En 1870, Louis Nadeau décrit un établissement thermal moderne et confortable, doté de 58 cabinets à douches et piscines et d’autant de baignoires ; « Ce nombre deviendra bientôt insuffisant si la foule continue à affluer au Mont-Dore. Tout y est parfaitement ménagé pour que les eaux puissent y produire leur effet, et les soins les plus minutieux et les plus intelligents y sont donnés aux malades », estime l’auteur du Nouveau guide aux eaux thermales de l’Auvergne.[8] Delécluze assiste donc ici aux débuts de l'engouement pour les eaux thermale du Mont-Dore qui ira croissant tout au long du XIX siècle.

 

 

  1. ^ Dr Chabory-Bertrand, Guide médical du baigneur aux eaux thermales du Mont-Dore, Mont-Dore, chez l’auteur, vers 1865, p. 4-5
  2. ^ Legrand d’Aussi, Voyage fait en 1787-1789 dans la ci-devant Haute et Basse Auvergne, cité dans Jean-François Luneau (dir.), Le Mont-Dore. Une ville d’eaux en Auvergne. Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, Images du patrimoine, 1998, p. 7
  3. ^ Olivier Faure, Le Mont-Dore au début du XIXe siècle : du village à la station thermale, in Congrès national des sociétés savantes, Villes d’eaux : histoire du thermalisme, Paris, éditions du CTHS, 1994
  4. ^ Adolphe Michel, L’ancienne Auvergne et le Velay, histoire, archéologie, mœurs, topographie, tome III, Moulins, P-A Desrosiers, 1845-1847, p. 167 (consulté sur https://archive.org https://archive.org/stream/FOLL293INV475RES#page/n171/mode/2up/search/thermes )
  5. ^ Olivier Faure, Les petites stations thermales en France au XIXe siècle : un autre thermalisme ?, in Dominique Jarrassé (dir.), 2000 ans de thermalisme. Economie, patrimoine, rites et pratiques, actes du colloque tenu en mars 1994 à Royat, Publications de l’Institut d’Etudes du Massif Central, p. 35-36
  6. ^ Jean-François Luneau (dir.), Le Mont-Dore . Une ville d’eaux e Auvergne. Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, Images du Patrimoine, 1998, p. 6 à 10 ; Richard Bucaille, Jeanne Virieux, Olivier Meunier et al., Des esthétiques méconnues : thermalisme et architecture thermale en Puy-de-Dôme, XIXe-XXIe siècles, Clermont-Ferrand, Un, deux...quatre éditions, 2013, p. 63
  7. ^ Louis Piesse, Guide aux eaux thermales du Mont-Dore, de Royat, de la Bourboule et de Saint-Nectaire ; avec la description de Clermont-Ferrand, Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863, p. 156 et 161
  8. ^ Louis Nadeau, Nouveau guide aux eaux thermales de l’Auvergne. Royat, Châtelguyon, Saint-Nectaire, La Bourboule et le Mont-Dore, Vichy, A. Wallon Imprimeur-éditeur, 1870, p. 49