Analyse
127. Vic en Carladès
Un positionnement en périphérie, sur une route de contournement
À Vic-sur-Cère (1 979 hb. au recensement de 1831), ce n’est pas le cœur du village que représente Delécluze (son église, ses maisons les plus remarquables dont celle dite « des princes de Monaco » très prisée plus tard des éditeurs de cartes postales). Il n’a pas quitté la grand-route et il se situe dans une zone doublement périphérique de la localité. D’une part, il s’est positionné à l’entrée ouest, depuis Aurillac, au niveau des premières maisons ; d’autre part il est sur une voie d’autant moins densément urbanisée qu’elle est de création récente, comme le suggère bien son caractère rectiligne.
Cet axe (son nom sur le plan cadastral de 1812, dans la traversée du village, est « route d’Aurillac à Saint-Flour », sans plus d’appropriation locale) a été aménagé à la fin des années 1770, permettant le contournement de la localité pas le sud. C’est pour cela que la partie gauche (côté nord) visible sur le dessin présente essentiellement des jardins, au milieu desquels a été établi le nouveau tracé. Des maisons situées en arrière de ces derniers, Delécluze dessine en réalité les façades initialement postérieures, les façades principales bordant en fait la « Grande rue » (aujourd’hui Coffinhal), quasiment parallèle à la route, et qui constituait l’ancienne voie d’accès principale — bien plus étroite. On peut même apercevoir le toit de l’une des maisons situées du côté opposé de cette Grande rue (deuxième en partant de la gauche). Les maisons bordant cette Grande rue ont globalement des toits à l’inclinaison marquée, couverts de lauzes. La représentation des deux maisons les plus hautes sur la gauche, encore existantes, apparaît relativement fidèle (parcelles 310 h à 311 bis sur le plan cadastral de 1811). Les cheminées n’ont guère changé de forme et sont aux emplacements adéquats. La maison de droite est bien singularisée par son toit original à combles brisés et coyau, avec deux niveaux de combles éclairés chacun par deux lucarnes, surmontant deux niveaux de logis visibles, éclairés chacun par deux fenêtres. La toiture de la maison de gauche a pu être transformée depuis car les divergences sont, cette fois, marquées (passage de cinq lucanes à deux et introduction d’un coyau).
L’urbanisation encore sporadique d’un axe récent
La configuration des abords immédiats de la route est le résultat d’une appropriation et d’une urbanisation encore inégales de cet axe récent. Un muret a été construit pour marquer la nouvelle limite des jardins, le long d’un premier tronçon ; mais il ne semble pas y en avoir après la maison bordant la route (ou bien, Delécluze aurait pris ici une liberté artistique). Dans ce deuxième tronçon est figuré en revanche un portail théâtral, couronné d’un petit toit : il y en a bien un aujourd’hui, approximativement à cet emplacement, mais formé de deux piliers couronnés chacun d’une boule.
Le petit bâtiment visible au premier plan sur la gauche, juste en contrebas de la falaise, non aligné sur la rue, qu’il ne borde pas directement, a tout d’une ancienne dépendance qui se trouvait au milieu d’un jardin coupé par le nouvel axe : son toit de chaume, qui marque son statut plus commun, laisse au moins entendre qu’il est antérieur à l’an XII (1804), puisqu’à partir de là une délibération interdisait pareille couverture pour les nouveaux bâtiments de la commune afin d’éviter les risques d’incendie.
Dans le tronçon le plus proche, une seule maison, sans mitoyenneté, a été construite en bordure du nouveau tracé, dans la parcelle J 314 où il n’y avait rien à cet emplacement sur le plan cadastral réalisé dix ans plus tôt. Cette bâtisse se distingue des autres : elle n’est pas en pierre, mais visiblement construite avec une ossature bois que Delécluze fait apparaître sur le pignon qui lui fait face ; elle n’a pas un toit pentu — habituellement couvert de lauzes — mais relativement plat à deux pans (peut-être couvert de tuiles ?). L’enseigne, associée à l’emplacement, pourrait faire soupçonner une auberge. Sa forme d’ensemble est proche de celle du n°42 actuel de l’avenue (trois niveaux, deux fenêtres au deuxième, une porte très à gauche du rez-de-chaussée) : il peut s’agir de la première représentation de cet immeuble.
Juste en face, à côté des deux enfants agitant les bras, quelques gros blocs de pierre jonchant la chaussée pourraient constituer un indice d’une autre construction en cours (il n’y avait rien à cet endroit, sur le plan cadastral de 1811 : ce versant de la route était ouvert sur les champs).
Un peu plus loin, la nouvelle route croise les faubourgs anciens de la localité, d’où la densification du bâti et le coude que le tracé a dû ménager, dans un espace désormais contraint. À gauche, le long bâtiment avec toit en demi-croupe et, sur sa longueur, des ouvertures uniquement en partie haute, très similaire aux granges de la région (on pense en particulier aux deux qui bordent la route après Comblat en direction d’Aurillac), correspond visiblement à celui cadastré 136 J en 1811, longeant l’actuelle rue de la Reine-Margot.
Tout à droite : deux travées de fenêtres de l’actuelle mairie (J 196 sur le cadastre) — mais la municipalité ne s’est installée en ces lieux qu’en 1873. C’est alors la maison de la famille Fraissy, et il est à noter que la porte existant aujourd’hui sur cette façade, juste avant la maison suivante, n’apparaît pas, confortant l’hypothèse (s’il n’y a pas eu là de liberté de l’artiste) d’un réaménagement tardif qui intégrait la présence, désormais, le long de cette façade, de la voie de circulation majeure. Elle est mitoyenne d’une maison avançant sur la rue, provoquant un décroché, comme aujourd’hui (J 197 sur le cadastre).
La survalorisation des éléments naturels
Alors que ce dessin constitue une vue urbaine, catégorie minoritaire dans l’album, Delécluze, dans sa notice, déporte l’attention vers les éléments naturels périphériques : « Il faut faire attention au Rocher en forme de tour. On voit dans le fond les montagnes qui forment la paroi. La Rivière coule entre ces pentes et la Ville. » Le rocher de Maisonne, non encore pourvu de sa croix, est visiblement rehaussé : en se positionnant à l’endroit probable de la réalisation de la prise de vue, on constate qu’il ne dépasse pas d’autant les maisons (sa hauteur est équivalente sur le dessin à celle du toit à cinq lucarnes, quand sur la photographie, elle n’est que de la moitié). Les montagnes à l’horizon, qui n’offrent pas un tel élément singulier, paraissent relativement conformes en revanche à ce qui peut être vu aujourd’hui, sachant que l’urbanisation de la partie droite de la rue cache désormais une partie de la perspective.
Globalement, la vue est donc relativement fidèle, si ce n’est l’exhaussement du rocher-« tour » et un rapprochement de l’unique maison bâtie en bordure de la route : s’il s’agissait bien d’une auberge, pourrait-elle être celle où il a fait étape, dessinant ensuite à proximité, comme il l’a peut-être fait à Saint-Flour, à Murat et aux Chazes ?
Le choix de ce site pour représenter Vic-sur-Cère est en tout cas rarissime, dans le corpus des lithographies ou cartes postales ultérieures : c’est la vue générale du village depuis d’autre versant de la vallée, dominé par l’adret et son rocher, qui domine, et même dans les cartes postales, bien peu nombreuses sont les vues de la route traversant la localité, a fortiori dans cette partie moins urbanisée.
Ce qui peut paraître étonnant, c’est que la mise en avant des éléments naturels à laquelle se livre Delécluze ne l’ait pas entraîné à évoquer les eaux minérales de Vic, dont Bouillet disait pourtant, en 1834, qu’elles attiraient « dix-huit cents à deux mille buveurs chaque année, »