Analyse
27. Gergovie, Mont Rognon, Flux de lave
Faisant suite à la composition précédente vers le sud, nous retrouvons le Montrognon à la silhouette bien particulière, couronné des ruines assez harmonieuses des vestiges de cet ancien établissement des vassaux des comtes d’Auvergne, aujourd’hui moins visible, à moins que l’artiste n’ait amplifié les formes. Le château-fort fut démantelé en 1633 sur ordre de Richelieu, et, peu après le passage de Delécluze, l’une des tours s’écroula. Ce type de monument apporte une vraie note pittoresque, c’est-à-dire digne d’être peinte, dans un paysage pouvant sembler un peu austère, surtout en raison de la vaste étendue du plateau de Gergovie à la végétation moins abondante que de nos jours.
Cette vue, prise peu après le col de la Croix de Frain et l’ensellement du puy de Montaudoux sur la commune de Boisséjour, montre le rebord sédimentaire de la Limagne, ici un grès impur (arkose argileuse), favorable à la culture en contraste de la surface chaotique de la coulée du puy de Grave Noire. L’amoncellement des blocs cyclopéens sur cette coulée s’explique par l’effondrement du volcan concomitant à son écoulement. Celle-ci dévale dans la pente en direction de Beaumont où elle va s’étaler largement pour donner le plateau Saint-Jacques.
Au centre de l’image, se dresse le plateau de Gergovie. Son flanc nord, face à l’artiste, est découpé en marches d’escalier par des effondrements successifs. Cette morphologie avait été « oubliée » depuis plus de 70 ans car elle était cachée par les arbres. Elle vient d’être redécouverte grâce au Lidar, moyen moderne de télédétection qui s’affranchit de la végétation. Elle témoigne de la fidélité de Delécluze au paysage.
À coté le sommet pointu du Montrognon est une cheminée volcanique de pépérite armée d’un filon de basalte où est implantée la tour en ruine.
On se trouve ici dans la Limagne des buttes « cultivé de la même manière que ce qui est auprès de Clermont » note Etienne-Jean Delécluze. Au premier plan de ce vaste panorama, il a représenté une scène de moisson qui anime l'image. Un homme tient une faucille ou un volant à la main tandis qu'un deuxième rassemble au sol les javelles (petits tas de céréales coupées mais non encore liées). La faucille et le volant sont des outils très proches, souvent confondus à cause de leur forme presque identique, qui servent à couper les tiges des céréales. La première est plutôt utilisée en frottant la lame contre la tige des céréales, tandis que le deuxième les coupe en percussion lancée (mais chacun de ces outils peut être en réalité utilisé des deux façons). Les deux ont été utilisés en Limagne, peut-être de façon successive. D’après Abel Chatelain, la faucille était préférée à la faux qui commence à se diffuser au début du XIXe siècle. Le géographe Pierre Coutin affirme avoir vu, encore vers 1910-1913, des paysans limagnais moissonner à la faucille alors même qu'elle oblige à adopter une posture plus inconfortable. Cette méfiance pour la faux, qui s’est manifestée dans plusieurs régions françaises à la même époque, peut s’expliquer par le fait que la faux amène à moissonner les grains avant leur maturité, ce qui occasionne des pertes pour les seigles et les blés. De plus, il semble que les gerbes réalisées à la faucille étaient plus uniformes, plus faciles à lier et à battre ensuite au fléau, et enfin que les blés rouges à barbe (dits touraine ou turelle), les plus répandus en Limagne au début du XIXe siècle, étaient plus aisés à couper à la faucille qu’à la faux. Autre avantage de la faucille : plus maniable, n’importe quel homme ou femme peut l’utiliser tandis que la faux nécessite plus de force et d'endurance. La faucille cédera progressivement sa place à la faux dans la deuxième moitié du XIXe siècle conjointement au début de l'exode rural : par sa petite taille la faucille exigeait beaucoup de main-d’œuvre ce expliquerait sa désaffection quand les campagnes se sont dépeuplées. A côté de ces moissonneurs, Etienne-Jean Delécluze représente un char tiré par des bœufs transportant des végétaux en vrac.
Autres planches en lien avec la thématique
Une autre scène de moisson, dans les Dômes, est représentée planche 35.
Une autre scène de travaux agricoles représente les fenaisons dans la vallée de Chaudefour, Massif du Sancy, planche 85.
A la fin de la note manuscrite Delécluze évoque la querelle qui, dès cette époque, animait les archéologues à propos de la localisation de la bataille Gergovie ("vers la gauche est le plateau basaltique de Gergoria [Gergovia], sur lequel quelques savants prétendent qu’était située la citadelle (Oppidum Gergoria [Gergovia]) dont César fut obligé de lever le siège.") et qui se conclua le 11 janvier 1865 par un décret de l'empereur Napoléon III renommant Gergovie le village de Merdogne.
C'est cependant au Florentin Gabriel Simeoni, qui publie en 1560 une Description de la Limagne d’Auvergne en forme de dialogue, que l'on doit le premier essai de localisation du site. Son ouvrage renferme notamment une carte, intitulée La Limagna d’Overnia, qui s'apparente à la fois à une cartographie paysagère - l’une des premières de France à cette échelle - et à une reconstitution historique. L’objectif majeur poursuivi par Simeoni est en effet d’établir l’emplacement de l’oppidum gaulois de Gergovie à partir d'une méticuleuse observation du terrain comparée avec le texte de César, le Bello Gallico. C'est ainsi qu'au bas du plateau nommé « Merdogne », Simeoni découvre les ruines d’une tour qu’on appelle « Gergoye » (Gomis et Fournier, 2016).
- Jeambrun M., Giot D., Bouiller R., Baudry D., Camus G., Guyonnaud G., Weecksteen G., 1973. Carte géologique détaillée de la France 1/50000. Feuille de Clermont-Ferrand (n° 693). 1ère édit. BRGM. Orléans