Analyse
125. Près de Vic en Carladès

Une fois encore, après ses dessins 51, 55 et 56, Delécluze est attiré par les falaises verticales qui jalonnent les hautes vallées du Cantal, caractère traditionnel du pittoresque. Celles-ci sont nées de la conjonction de la présence des brèches d’avalanches caractéristiques des effondrements du massif volcanique il y a environ 7 millions d’années et de l’érosion par les glaciers quaternaires qui nous a laissé toutes les vallées en U rayonnantes autour du centre du Cantal (Brousse et al., 1975). Comme celle de Fraisse-Haut (n°51), la falaise représentée, sans doute celle du Bois de Fournols, abrite une cavité, la « Grotte des Anglais ».

Delécluze, une fois de plus, reste sur la grand-route de l’époque pour dessiner un rocher. Mais celle-ci passe alors en contrebas du tracé actuel de la RN 122, par le pont de Fournols (construit au pied de la cascade éponyme à la fin du xviiie siècle à quelques mètres du pont médiéval), puis par les hameaux de Fournols et La Prade. Il a fallu qu’il se retourne, néanmoins, pour repérer le sujet qu’il décide de dessiner (il parle de « rétrospect »), ce qui laisse envisager un cheminement attentif où, dans sa quête de sites intéressants sur le plan géologique autant qu’esthétique, il veille, au moins régulièrement, à observer le paysage à 360°. Il n’est là qu’à 1,2 km environ du site de son précédent dessin, or l’élargissement subi de la vallée, donc la découverte d’un nouveau cadre paysager, peut l’avoir d’autant plus poussé à observer l’environnement global. Bouillet fait de même, en 1834 : « Lorsqu'on a dépassé [le pas de la Cère] de quelques centaines de pas, et qu'on est au hameau de Laprade, près Vic, on est frappé, en se retournant, de la beauté du paysage qui s'offre à la vue. »


(Vue à droite du dessinateur)


(Vue dans le dos du dessinateur)

Cependant, il n’est guère vraisemblable qu’un guide, comme pour Trémoulet, ait pu attirer son attention sur le rocher émergeant du bois de Fournols qu’il place au centre de sa composition. D’abord, il ne sait, cette fois, le désigner d’un toponyme particulier. D’ailleurs, en existe-t-il un ? Ce n’est pas ce rocher lui-même, mais une grotte qu’il abrite, qui est dite « des Anglais », ou « des huguenots »… mais pas avant le début du xxe siècle, ce qui laisse plutôt soupçonner une désignation et une « mise en histoire » tardives liées à l’essor du tourisme thermal à Vic. La revue Le Magasin pittoresque, évoquant en 1908 la petite station cantalienne, se risquait même à avancer à propos de cette grotte (p. 199) : « Ces refuges […] avaient sûrement servi aux temps préhistoriques. Et ils serviraient encore dans de formidables invasions. » Bref, comme à proximité du pont de Lanau, il y avait là une cavité à laquelle la fonction d’abri isolé a conduit à prêter des attributions variées en puisant aléatoirement dans l’histoire. Néanmoins, Delécluze, voyageur trop précoce pour intégrer ce légendaire forgé sur le tard, et placé trop loin du rocher pour deviner l’anfractuosité, n’y prend pas garde, alors qu’il a montré par ailleurs (à Lanau comme à Laveissière) combien il était sensible à ce type de phénomène. D’autre part, il est le seul auteur repéré d’une vue centrée sur ce rocher. L’attention des autres artistes ou voyageurs est davantage retenue, dans ce secteur, par le rocher de Muret, situé à six cents mètres au nord-est. C’est lui qui surplombe le paysage, sur la lithographie de Hostein, d’après dessin de Tudot, publiée dans L’Ancienne Auvergne et le Velay en 1847, cadrée trop à droite pour donner à voir le rocher repéré par Delécuze ; c’est encore ce rocher de Muret que signale Bouillet en 1834, comme « une des curiosités du pays, et un but de promenade pour la société de Vic », attirée par les ruines encore visibles d’un château détruit au xvie siècle et par le « fort beau tilleul à forme arrondie » dont l’ombre est prisée.

L’intérêt que manifeste ici Delécluze pour le rocher de la grotte « des Anglais » semble avoir davantage été mu par la quête de pittoresque que par quelque érudition scientifique ou historique. Il ne qualifie aucun phénomène, aucune roche. Ce sont les formes du rocher qui le fascinent, et sa capacité de suggestion architecturale, comme ailleurs les cavités anthropomorphes ont pu retenir son attention : « Je ne ferai remarquer dans ce site agréable que la forme d’un grand Rocher qui la menace au centre du dessin : Cette forme de tour se reproduit fréquemment dans ce pays. On en a déjà vu un Exemple à l’hermitage de Fresse-haut (N° 51) on en retrouvera un autre dans la vue de Vic (N° 58). » Dans une configuration très romantique, c’est la capacité de la nature à se substituer à un sculpteur ou un architecte, qui le fascine.

- Jean-Baptiste Bouillet, Description historique et scientifique de la Haute-Auvergne, Paris, Baillière, 1834.
 
- BROUSSE R. & COLLABORATEURS (1975). Carte géologique 50000e et notice, Vic-sur-Cère, . Orléans, BRGM, Service Géologique National.
 
- Pascale Moulier, Le Cantal vu par les artistes au xixe siècle, Saint-Saturnin, La Flandonnière, 2018.
 
- « Vic-sur-Cère », Le Magasin pittoresque, 1908, p. 199