Analyse
113. Hermitage dans le Cantal

Cet habitat troglodytique se place au-dessus de Fraisse-Haut près de Laveyssière et s’appelle aujourd’hui la « Roche Percée ». Il est sur un circuit de randonnée touristique. Situé à environ 1140 m d’altitude, sur le versant à regard SE de la vallée de l’Alagnon, son exposition est favorable. Les pentes du voisinage sont généralement très fortes, proches de 80%, mais des glissements de terrain ont ménagé des replats très relatifs. Celui devant la Roche Percée a ainsi une pente de l’ordre de 30% ce qui a permis à un cultivateur de faire pousser à « grand-peine » quelques céréales.

Delécluze a parfaitement représenté l’organisation des formations volcaniques. La partie principale massive dans laquelle sont installées les grottes, est constituée de brèches d’avalanche trachy-andésitiques à blocs plurimétriques. Sa matrice tendre et abondante a facilité la taille des cavités.  Cette couche est surmontée par des dépôts stratifiés de coulées de débris et de lahars. Au dessus, des blocs de taille importante favorisent l’apparition de « cheminées de fées » en protégeant de l’érosion les terrains sous-jacents.

Situé à 1240 mètres d’altitude, en surplomb du hameau de Fraisse-Haut, cet habitat est divisé en trois étages, reliés par un escalier et creusés dans la brèche. Chaque niveau présente des aménagements : emplacement de poutres, niches et placards.

Un habitat troglodytique intermittent

Nous ne savons que peu de choses sur cette habitation troglodytique.

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Ce dont nous sommes sûrs, c’est d’abord que le site est ancien. Le Dictionnaire topographique du Cantal ne fait état que d’une seule mention antérieure au xixe siècle : au xve dans un terrier de Chambeuil sous le terme de « roche de Fraixe ». Ensuite, nous savons qu’il servit d’habitat paysan : en 1821, Delécluze évoque « une famille de cultivateurs qui a grand-peine font croître quelques grains parmi ces rochers » ; et la mémoire collective locale se souvient de deux bergères qui habitaient la grotte à la fin du xixe siècle. Quoi qu’il en soit, une carte postale oblitérée en 1917 nous montre une Roche percée inoccupée et dépourvue d’aménagements.

 

Nous pouvons ensuite émettre quelques hypothèses à partir des noms et dates gravés au dernier étage, sur le mur côté est, parmi les tags des années 1980. Trois seulement sont facilement lisibles. D’abord, en partant de la droite, « HENRI ROCHE 1838 » : peut-être s’agit-il de Pierre Henry Roche (1815-1867), menuisier à Fraisse-Haut selon son acte de mariage en 1841, mais qui aurait très bien pu être cultivateur quelques années plus tôt à la Roche percée, à moins que cela ne montre que le site était abandonné dès cette époque. Ensuite, à gauche, l’inscription « TEILHARD 192? » nous laisse penser qu’elle a été faite lors d’une excursion par un membre de la famille de Marguerite Teillard-Chambon (cousine de Pierre Teilhard de Chardin), résidant à Laveissière. Enfin, la dernière inscription, datée de 1681, est plus difficile à lire.

Ermitage ?

Les érudits locaux du xixe siècle s’accordaient à présenter le site comme un ermitage. D’ailleurs, Delécluze lui-même intitule son dessin « L’hermitage de Fresse-haut », sans doute à partir de ce qu’a pu lui dire quelque érudit local. La plupart y voient l’ermitage de saint Calupan, moine du monastère de Méallet (près de Mauriac) dont la vie a été rapportée par Grégoire de Tours au vie siècle. Les érudits soutenant cette identification ont sans doute fait des rapprochements entre la Roche percée et la grotte décrite dans le texte, notamment la petite fenêtre à travers laquelle Calupan bénissait ses visiteurs et la petite citerne qui recueillait l’eau de source, que l’on retrouve toutes les deux au dernier étage. Cependant, d’autres érudits situent plus judicieusement l’ermitage au Rocantou, dans les alentours de Méallet, une ancienne grotte détruite lors d’un éboulement. La Roche percée n’est donc sûrement pas l’ermitage de Calupan, d’autant plus que ni l’église de Bredons, ni l’église de Laveissière ne se sont appropriées le saint à travers un quelconque culte, statue ou chapiteau. Il s’agirait donc d’une légende savante, et non populaire.

En réalité, il est même probable que la Roche percée n’ai jamais été un ermitage. Les indices qui permettraient de confirmer l’hypothèse majoritairement avancée sont en effet assez minces : une niche qui a pu accueillir une statue au deuxième étage et une chapelle à Fraisse-Haut. De manière générale, il semble que les grottes aient attisé l’imagination des érudits qui y voient fréquemment d’anciens ermitages. Selon ces mêmes sources, la vallée de l’Alagnon serait une nouvelle Thébaïde avec, en aval, l’ermitage de saint Gal à l’entrée de Murat, des ermitages derrière le château d’Anterroches, la grotte de saint Anthemoine à Murat, l’ermitage de saint Antogny près de Massebeau, l’ermitage du Trou du Loup près de la Chapelle-d’Alagnon, etc.

Il semble que les érudits adeptes de ce type d’identification aient oublié l’aspect purement utilitaire que l’on donnait à ces grottes. La dimension et la situation de la Roche percée étonnent, ce qui a dû les pousser à croire que « cette grotte fut évidemment un ermitage », alors qu’il s’agit « seulement » d’un habitat paysan troglodytique, comme on peut en voir non loin, à Bredons. Ces habitats de Bredons conservent plusieurs indices montrant qu’ils ont servi d’habitations, d’écuries et d’entrepôts. Leurs tailles modestes leur ont permis d’échapper à l’identification commune comme ermitages. Cela n’a pas empêché les habitats troglodytes de Bredons d’attirer l’attention de quelques historiens qui datent le début de leur occupation entre le ier et le iie millénaire av. J.-C.. Des recherches plus poussées à la Roche percée permettraient de savoir si son histoire est aussi ancienne.

- AME Emile, Dictionnaire topographique du Cantal, « Fraisse-Haut », 1897, p. 216
 
- Commission des Souterrains et Excavations Artificielles de France (Fascicule N° 1), Bulletin de la Société préhistorique de France, tome 16, n°1, 1919
 
- CONCHON Marie-Joseph, Marguerite Teillard-Chambon, Editions Salvator, Paris, 2016
 
- DE RIBIER DE CHATELET Jean-Baptiste, Dictionnaire statistique du département du Cantal, « Murat », 1824, 1856 et 1857.
 
- DE TOURS Grégoire, Vita Patrum, chapitre XI
 
 
- MOULIER Pierre, La Basilique Notre-Dame des Miracles de Mauriac, 2006.
 
- NEHLIG P., LEYRIT H., ARNAUD N., BAUDOIN V., BINET F., BOUDON G., COULOMB A., DARDON A., DEMANGE J., DURANCE G., FONTAINE-VIVE M., FRÉOUR G., GOËR DE HERVE A., DE, GUÉRIN H.-M., JAMET A., LAMBERT A., LEGENDRE C., MAURIZOT-BLANC C., MICHON L., MILÉSI J.-P., PILET S., VATIN-PÉRIGNON N., VANNIER W. & WATELET P. (2001). Carte géol. France (1/50 000), feuille Murat (788). Orléans, BRGM.
 
- NEHLIG P. et FRÉOUR G., GOËR de HERVE A. (de), HUGUET D., LEYRIT H., MARRONCLE J.-L., ROGER J., ROIG J.-Y., SURMELY F, THIÉBLEMONT D., VIDAL N. (2001) - Notice explicative, Carte géol. France (1/50 000), feuille Murat (788). Orléans : BRGM, 264 p.