131. Aurillac

Numéro carnet

60

Titre carnet

Autre vue d'Aurillac prise à [peu près] dans la Direction de l'Est à l'Ouest

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60-carnet.jpgN°60 Autre vue d’Aurillac prise à peu près dans la Direction de l’Est à l’Ouest
 

C’est de la colline dans l’ombre à droite (N° 59) que j’ai fait ce dessin. La longue colline qui fait le fond est le prolongement de la paroi droite de la vallée de St Simon, venant du col de Cabre à droite et allant se perdre à gauche dans la plaine d’Arpajon. On retrouve à mi-côte le chateau de St Etienne environné de quelques habitations de paysans. La Jourdanne coule de droite à gauche entre le terrain de devant et la Ville. Elle cotoye la grande promenade qui à droite fait un coude à l’endroit où elle est contrariée par une digue et reparait auprès d’un petit pont de bois. A droite de l’Eglise de St André, à gauche du tableau, est la grande place publique : C’est à peu près au dessous du château de Saint Etienne qu’est le fort de la ville et que se trouvent les administrations. Sur la Crète de la Colline, au dessus de St André, on voit un grand Arbre dans le lointain. Il est appelé dans le pays l’arbre de Sully : la tradition rapporte qu’il a été planté du temps de ce Ministre, à l’époque et en réjouissance de la naissance de Louis XIII.

 

 

 

Type d'analyse

Comme à Murat, Delécluze, après avoir livré une première vue où la ville n’est qu’une composante accessoire au milieu de la nature dominante, en livre une seconde où le rapport entre espace urbanisé et espaces naturels est plus équilibré, détaillant plus précisément nombre de bâtiments. Il s’est positionné cette fois à proximité immédiate de la route par laquelle il est arrivé de Vic-sur-Cère, vers le Barra. C’est un point d’observation surélevé partagé avec d’autres artistes de l’époque : Jean-Hubert Tahan en 1815, ou un peintre anonyme dans les mêmes années.


Type d'analyse

URBANISME

La vieille ville aux bâtiments indistincts

Dans sa notice, Delécluze est plus disert qu’à son habitude, à propos des bâtiments est des espaces publics urbanisés. Le premier qu’il mentionne, dans une description allant de droite à gauche, est le « château de Saint-Etienne environné de quelques habitations de paysans ». Déjà cité dans la notice précédente (planche n°129) , il est bien, en ce début de xixe siècle l’élément historico-patrimonial majeur mis en avant dans une ville largement dépourvue de monuments, et cette répétition reflète bien cet état des choses. « C’est à peu près au dessous du château de Saint Etienne qu’est le fort [entendre : « l’essentiel »] de la ville et que se trouvent les administrations. » C’est en effet là qu’a pris place la vieille ville, avec ses trois quartiers (bourg abbatial, Aurinques, Olmet), réduite sur le dessin à une dense concentration de bâtisses parmi lesquelles on ne repère guère de valorisation spécifique d’un bâtiment particulier – quelques hauts édifices apparaissent bien, mais la plupart sont difficiles à identifier avec assurance. Les administrations y sont encore regroupées, conformément à ce qu’il avance : tribunal dans les locaux de l’ancien présidial rue de la Coste, occupés depuis le xvie siècle ; municipalité dans son nouvel hôtel de ville de 1806 (bien visible sur le tableau de Tahan, mais difficile à discerner ici, à moins qu’il ne faille considérer comme tel le bâtiment élevé au droit du château) ; préfecture, la première construite ad hoc en France, entre 1798 et 1812 (cachée ici par les arbres) ; collège (créé par les jésuites au xviie siècle, signifié par la présence d’une sorte de clocher qui reproduit maladroitement le tour d’escalier centrale) ; à défaut d’évêché dans ce chef-lieu de département qui en est dépourvu, il y a là l’abbatiale (Saint-Géraud) devenue siège de l’une des deux paroisses, mais dont la nef tronquée depuis les guerres de religion et l’absence de clocher depuis 1794 peinent à en faire un monument-emblème (on devine néanmoins, juste à gauche du grand arbre le plus à droite, la croupe du toit de la nef, et perpendiculairement, le toit du transept).

La rivière et les faubourgs

« La Jourdanne [lire : Jordanne] coule de droite à gauche entre le terrain de devant et la Ville. Elle cotoye la grande promenade qui à droite fait un coude à l’endroit où elle est contrariée par une digue et reparait auprès d’un petit pont de bois. » La « grande promenade » rectiligne se repère aux allées d’arbres qui ourlent la vieille ville au droit du château, plantées au xviie siècle sur la gravière, et qui constituent alors un lieu de promenade prisé.

Le coude opéré par la rivière au niveau d’une digue, presque au milieu du dessin, est un méandre où a été aménagée une chaussée-déversoir (la « chaussée Maurine ») alimentant le canal de l’usine Dorinière.

Le « petit pont de bois » qui franchit la Jordanne est la passerelle d’Aliès, conduisant, sur la rive gauche (à droite) à la maison du même nom, à pans et balcons de bois utiles au séchage des peaux ou textiles, fréquemment dessinée puis photographiée en raison de son aspect jugé « pittoresque ». Dite « maison des pêcheurs » au xxe siècle, elle appartenait, quand Delécluze la dessine, au teinturier Malbert.

Ce type d’activité, présent aussi, tout à côté, chez Bouniol (la maison isolée à droite, avec tourelle et deux cheminées imposantes) ou légèrement en aval, à la teinturerie Aliès proprement dite (hors cadre, à l’emplacement de l’actuel parking Doumer), allait de pair avec celle de la tannerie, dominante dans ce faubourg Saint-Marcel qui avait pris son essor au xviie siècle. La proximité de la rivière était ici nécessaire, pour toute une partie du travail des peaux (trempe ou reverdissage, pélanage, ébourrage, écharnage), avant le tannage en fosse. Deux établissements d’importance sont visibles ici : la tannerie Dorinière, devenue plus tard Barthélémy, appartenant alors à Jamet (la grosse bâtisse carrée à gauche du méandre le plus proche), et le moulin du Vert (propriété Filias), dans l’axe de la rivière, reconnaissable à l’ouverture basse par laquelle ressort l’eau du chenal. Delécluze ne mentionne pourtant pas ces activités. Quoique se montrant plus disert cette fois à propos de la ville, c’est ici le parcours de la rivière, élément naturel qu’il relie au volcan (il cite sa source : le col de Cabre) qui détermine l’organisation de sa rédaction.

Au second plan, néanmoins, il mentionne « l’Eglise de St André, à gauche du tableau, [et à sa droite] la grande place publique ». Le vocable qu’il prête à l’édifice religieux étonne, puisqu’il s’agit de l’ancienne chapelle des cordeliers, devenue en 1803 siège de la deuxième paroisse de la ville sous le nom de Notre-Dame-aux-Neiges. Postuler une confusion avec Massiac ou Saignes, rares localités du département où ce vocable est conféré à l’église, serait périlleux. Il convient davantage d’en faire un indice des façons de travailler de Delécluze : sans doute voit-on là le résultat d’une écriture a posteriori des notices, ne s’appuyant pas forcément sur des notes prises sur le moment et s’exposant aux approximations de la mémoire. L’église conserve alors (jusqu’en 1848) son clocher des années 1660, qui a échappé aux destructions révolutionnaires. Le long bâtiment perpendiculaire à l’église n’est pas désigné par Delécluze : il s’agit de l’hospice, installé dans l’ancien couvent des clarisses (xviie siècle). La « grande place publique » qu’il signale à proximité est celle du pré de la Bombe, séparant la vieille ville des faubourgs (on voit, sur la droite de la place, les maisons accolées aux anciens remparts). Il fait alors office de foirail et n’a été aménagé en Square que dans les années 1870.

Un arbre remarquable

Le dernier élément sur lequel Delécluze attire l’attention est un arbre isolé, sur la crête au droit de l’église. Ce repérage singulier n’est pas uniquement à lire comme un indice supplémentaire de la sensibilité exacerbée de son auteur vis-à-vis du cadre naturel – même si elle doit bien jouer. Cet arbre est également exalté, à l’échelle locale, comme élément identitaire. « Il est appelé dans le pays l’arbre de Sully : la tradition rapporte qu’il a été planté du temps de ce Ministre, à l’époque et en réjouissance de la naissance de Louis XIII. » Delécluze lit ici les choses via un prisme extérieur, usant du nom du ministre d’Henri IV dont les directives en faveur de la plantation d’ormes ou tilleuls sont restées en mémoire, devenu communément un substantif désignant des arbres pluriséculaires, sans garantir une plantation à son époque.

À Aurillac, ce tilleul était habituellement désigné comme « arbre de Croumaly », le nom du lieudit où il avait été planté en bordure de l’ancienne route de Mauriac. Ferdinand de Lanoye en propose une lithographie d’après un dessin de Jules Laurens, dans son Voyage aux volcans de la France centrale, en 1866, et rapporte qu’il était « désigné à l’étranger comme ombrageant, de ses rameaux deux fois et demi séculaires, le champ du mal, où le bon comte rendait la justice ». Il suggère ainsi que dans cette ville guère pourvue en « monuments antiques » prisés par les visiteurs, cet arbre jouait un rôle de substitut, associé au château Saint-Étienne pour évoquer la mémoire des temps les plus anciens.


Type d'analyse

- Jean-Baptiste Bouillet, Description historique et scientifique de la Haute-Auvergne, Paris, Baillière, 1834.
 
- Edouard Bouyé, « Les tanneries à Aurillac : histoire d’une petite industrie du Moyen Âge au xxe siècle », dossier de documents en ligne, Archives départementales du Cantal.
 
- Abbé Joseph Courieu, « Ormes de Sully... Ormes de la Révolution », Folklore. Revue d'ethnographie méridionale, 28, 2, 1975, p. 21-23.
 
- Vincent Flauraud, Aurillac de A à Z, Joué-les-Tours, Alan Sutton, 2010.
 
- Vincent Flauraud et Claude Grimmer, Aurillac : l’enclos des Carmes, des couvents aux collèges, Aurillac, ADHRA, 2005.
 
- Vincent Flauraud et Claude Grimmer, Aurillac : le quartier de l’ancien hospice, Aurillac, ADHRA, 2007.
 
- Ferdinand de Lanoye, « Voyage aux volcans de la France centrale », Le Tour du monde, 1866
 
- André Muzac, « Visages d’Aurillac dans le passé. Iconographie d’Aurillac », Revue de la Haute-Auvergne, t. 43, janvier-juin 1973, p. 425-475

Coordonnées dessin vue

POINT (2.446177 44.923416)